Le jeu des « dualités »

Nos principaux organes des sens sont des portes qui s’ouvrent à la perception du monde environnant. Ceci ne signifie absolument pas qu’il existe d’autres portes de perception.
On évoque souvent les termes d’énergies solaire et lunaire, du masculin et du féminin, du yin et du yang. Et pour beaucoup d’entre-nous, cela reste encore très abstrait.
Je vais vous parler ici d’un autre jeu de dualité qui peut-être sera plus compréhensible : il s’agit du confort et de l’inconfort, notions qui sont familières à tout à chacun.
Quoi de plus agréable que de se sentir confortable dans le quotidien : un corps souple et fort, des émotions stables et douces, un mental en paix….bref, dans un état de bonheur et/ou de joie !
La recherche du confort et de son maintien est un jeu d’apprentissage des dualités pour mieux nous tenir dans un état d’équilibre optimal. Toutefois, l’inconfort reste une condition indissociable, tout comme l’ombre et la lumière sont les deux faces d’une même pièce.
Sur le tapis de yoga, nous expérimentons et apprenons, entre-autres, à définir ce jeu constant de la vie et des dualités ; on peut aussi l’entendre comme étant un jeu de forces opposées, ou encore, un jeu de complémentarités.
Pour s’approprier les valeurs de ce que sont les notions de confort et d’inconfort, il est nécessaire de connaître les deux. La lumière nous apparait parce que nous connaissons aussi l’ombre et réciproquement.
C’est tout l’art du hatha-yoga qui explore sous toutes ses formes les conditions et les effets des forces opposées, ou complémentaires si vous préférez ce terme.
Plus nous pratiquons, en conscience, plus nous nous éveillons à ressentir avec précision et justesse la trame de vie en nous, avec toutes les oscillations que cela comprend.
Le yoga est une lumière qui, une fois allumée, ne faiblit pas. Plus vous pratiquez, plus la flamme est brillante.
BKS Iyengar
Mais la justesse des ressentis ne peut se faire qu’à mesure que la Conscience peut se déployer de plus en plus en profondeur, aussi bien dans le corps physique, qu’émotionnel ou mental. Des limitations peuvent apparaître dans chacune de ces couches, elles sont comme des voiles illusoires qui masquent la réalité. Ainsi, nous avons toutes et tous des degrés de perception et de sensibilité différents.
C’est donc graduellement, avec patience, persévérance et assiduité que nous sommes en mesure de nous rapprocher de la réalité : à commencer par le corps physique, qu’il s’agit de s’approprier dans sa totalité, et non pas superficiellement. Toutefois, si le corps physique est relativement en bonne santé, il est très possible de ressentir avec justesse cette trame de vie en nous, de nous maintenir dans une valeur d’équilibre bénéfique à notre bien-être et à notre confort.
Il existe aujourd’hui une multitude d’asana qui nous offre cette possibilité de nous ouvrir à notre intériorité physique intégralement.
La Conscience touche alors de plus en plus d’espaces intérieurs.
On a établit dans la culture indienne une approche systémique qui fait référence aux éléments. Ainsi, on retrouve dans le corps une projection microcosmique de ces éléments extérieurs du macrocosme.
Sont déterminées, dans le corps humain et ses différentes couches, certaines proportions des éléments (pancha bhuta) : la Terre (Prthivi), puis de l’Eau (Jala), du Feu (Agni), de l’Air (Vayu), et de l’Ether (Akasha ; on peut aussi traduire Akasha comme notion d’Espace plutôt que l’Ether).
En dénouant peu à peu tensions et autres blocages physiques, nous redonnons de plus en plus d’ampleur à Akasha, qui est l’élément de référence dans lequel se meuvent les autres éléments dans le corps, à proportions variables. Akasha contient tous les autres éléments, d’où son importance. Il en est de même dans le macrocosme, c’est l’élément Akasha, l’espace, qui contient toutes les formes, manifestations et expressions de vie.
Les résistances physiques, sous toutes ses formes, qu’elles soient en lien avec les chaînes musculaires, myo-fasciales ou nerveuses, sont des points, des zones de condensation qui empêchent la libre circulation de l’énergie et donc de la Conscience.
Ceci impacte directement le corps mental, émotionnel et le psychisme, en d’autres termes, notre confort et notre bien-être. Toutes nos réactions, nos comportements et notre tempérament sont en lien étroit et direct avec notre corps de chair. Et inversement, plus un tempérament (rigide, étroit …) se renforce, plus cela entretient les résistances ou limitations physiques, émotionnelles et mentales.
Le yoga est un processus qui a été développé pour permettre, entre-autre, à la Conscience de se déployer et d’incarner de la façon la plus intégrale possible le corps physique ainsi que les corps plus subtils. Cette immersion en soi nous donne la capacité de définir avec plus de justesse la réalité de notre équilibre intérieur et de nous y maintenir au mieux. Ainsi, peu importe les conditions extérieures, notre état d’être est plus stable. Sur le tapis de yoga, et à travers la pratique des asana, la recherche du calme intérieur est souhaitée et désirée malgré l’inconfort que peuvent susciter les efforts de certains asana. Toute la pratique des postures nous entraine à explorer et à vivre sur le tapis des zones et des moments d’inconfort pour y faire face et trouver une plage de confort dans ce défi. Ces pratiques répétées entraine le mental à rester plus stable et le résultat se manifestera aussi dans le quotidien vis-à-vis des épreuves mondaines. C’est alors que l’on comprend intuitivement que la source de nos inconforts ne provient pas de l’extérieur mais bel et bien de l’intérieur ….. à méditer !
Le yoga nous enseigne à soigner ce qui ne peut pas être enduré, et à endurer ce qui ne peut pas être soigné.
BKS Iyengar